Le CRM multicanal

Les professionnels du Customer Relationship Management (CRM) ont su convaincre les entreprises de l’importance de leurs conseils, alors que préserver ses clients est devenu plus stratégique que d’en conquérir de nouveaux. Mais avec la multiplication des points de contact entre une marque et son client (point de vente, site marchand, smartphone…), cette science se voit considérablement complexifiée. Si bien que les techniques d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec celles d’hier. Plutôt que de couvrir l’ensemble des canaux, les services marketing doivent se concentrer sur les plus stratégiques, en y recherchant des synergies. Le big data impose aussi de plus en plus la collaboration entre les techniciens et les services marketing.

Le Customer Relationship Management, ou gestion de la relation client, tente d’apporter la réponse à une question simple en apparence : comment fidéliser ses clients à l’heure où ils se montrent de plus en plus volages à l’égard des marques ? Une question stratégique, tant le coût d’acquisition d’un nouveau client est élevé. Mieux vaut conserver les siens que d’avoir à en débusquer de nouveaux.

Les premiers grands chantiers de mise en place de systèmes de CRM dans le secteur bancaire en 2004 ont coûté entre 300 et 400 millions d’euros à la Société Générale et BNP Paribas. Un peu moins de 10 ans plus tard, ce marché est-il toujours en phase d’accélération ? Rien n’est moins sûr. Commencée au début des années 2000 avec des logiciels d’automatisation de force de vente du type Siebel, la première vague d’équipement s’est focalisée sur les grandes entreprises jusqu’en 2005, avant de se généraliser aujourd’hui aux PME et aux entreprises de taille intermédiaires (ETI), grâce aux technologies en cloud. Mais déjà apparaissent de nouveaux enjeux. Le virage du “social CRM” s’est enclenché : les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, permettent de recueillir toujours plus de données sur le client, comme sa localisation géographique, dépassant la simple relation d’achat. Plus récemment, la tendance s’oriente vers le Big data, ou comment “espionner” les données des clients par captation de flux.

C’est qu’entre le début des années 2000 et aujourd’hui, la donne a changé. Les points de contact entre une marque et ses clients se sont multipliés rapidement. On n’entre plus seulement en relation avec sa banque au guichet, où le consultant connaît chaque membre de la famille. Désormais, les services bancaires sont aussi accessibles depuis son ordinateur ou son smartphone. Et l’exemple vaut pour tous les secteurs. Le CRM s’est donc considérablement complexifié. Trop vite pour les spécialistes eux-mêmes ?

Ubiquité exigée

Les canaux traditionnels, courrier et point de vente, ont en effet laissé leur place, avec l’augmentation des moyens de communication, à une multitude de points de contact entre le vendeur et le consommateur : call-center, e-mail, applications mobiles, espace client en ligne, réseaux sociaux, automates, etc. Du coup, les clients se dédoublent. Selon une étude CSA-NPA menée en juin 2012, 74 % des interviewés surfent sur Internet en même temps qu’ils regardent la télévision. Le sondage révèle également que 20 % des “multi-screeners TV” échangent aussi des commentaires sur les réseaux sociaux avec leurs amis. Sur ce plan, les consommateurs apprennent au moins aussi vite que les professionnels du marketing. “La multiplication des modes d’interaction entre la marque et le consommateur a rendu ce dernier plus exigeant dans sa relation. Il attend de la marque une expérience utilisateur cohérente, utilise le moyen le plus adapté à son besoin immédiat, et attend que celui-ci soit satisfait en temps réel, ou presque”, analyse Irène Labus, directrice analytics chez Havas Digital, l’agence média du groupe de communication.

Les clients adaptent leurs habitudes à chacun des canaux mis à leur disposition. “Ils conjuguent les avantages du online – gain de temps, recherche facilitée, disponibilité 24h/24 7j/7, et avis des internautes – avec ceux du offline comme la dimension humaine, le toucher du produit ou l’immédiateté de la détention”, précise Daniel Breton, directeur général du fournisseur de solutions CRM Cabestan. “La relation client-entreprise ne cesse de se digitaliser et les interactions online prendront une part de plus en plus importante ces prochaines années” estime-t-il. Selon une étude Ifop-Generix de septembre 2012, 66 % des personnes interrogées se renseignent ainsi d’abord sur le Net avant d’effectuer un achat en magasin. Une pratique plus connue sous l’acronyme anglo-saxon Ropo : Research Online Purchase Offline.

Ces nouveaux comportements poussent les marques à être présentes partout et à tout moment. En réaction, les magasins se transforment en showrooms et les ventes des sites d’e-commerce explosent. Le mythe d’un point de contact unique a, lui, définitivement disparu au profit d’un ensemble de canaux, en fonction du rôle que chacun joue dans le parcours du consommateur. “Il faut maintenant s’assurer que les mots-clés de l’annonceur soient bien achetés pendant la campagne, qu’un community manager interviendra sur les réseaux sociaux suite au lancement d’un produit pour écouter et répondre aux éventuelles réactions des consommateurs, et que les internautes qui n’ont pas été au bout de leur achat soient relancés via un e-mail, un SMS ou des bannières publicitaires” décrit Irène Labus.

Jouer la synergie

Mais attention à ne pas se disperser pour autant, car la fragmentation des médias crée également bien des difficultés pour les équipes marketing. “La stratégie multicanale, qui consiste à être présent sur tous ces supports en même temps, se révèle trop difficile. Elle s’efface au profit du cross-canal qui vise à coordonner ensemble les différents canaux” remarque Christophe Benavent, professeur responsable du master marketing opérationnel international à l’université de Paris Ouest. L’imbrication des différents canaux implique une harmonisation des prix et de la qualité de service des offres émises. “Pas question de bombarder la même personne via des canaux différents, avec des offres contradictoires ou inadaptées” renchérit Irène Labus. Pour éviter “les brouillages entre le physique et le digital”, Christophe Benavent prône un nombre limité de canaux, prenant l’exemple d’Amazon qui étend sa suprématie mondiale sur le seul vecteur Internet.

“Si le responsable CRM s’engage sur plusieurs d’entre eux, il devra surtout prendre garde à bien les combiner ensemble”, ajoute l’universitaire. Autre condition à cette synergie : “tout ceci suppose bien entendu une coordination entre les services concernés : marketing, médias, CRM, site Web, eCommerce, services informatiques…, ce qui n’est pas la moindre des difficultés !” relève Irène Labus. “Les équipes marketing et techniques ont parfois du mal à travailler ensemble et à communiquer. Il va falloir lever les freins organisationnels. Un projet multicanal ne peut pas aboutir sans un binôme technico-marketing”, suggère Daniel Breton.

Existe-t-il un canal idéal ? La réponse est non, d’après une étude du Syndicat national de la communication directe (SNCD) montrant que 54 % des e-concommateurs interrogés préfèrent être en contact avec le site Internet de la marque, 42 % privilégient l’e-mail, 33 % sont très attachés à leur point de vente et 11 % adeptes des réseaux sociaux. “Chaque canal joue à plein son rôle dans la relation client. L’e-mail est un formidable outil de personnalisation. Facebook, quant à lui, ne perce pas encore comme canal transactionnel mais est une véritable plateforme relationnelle qui permet de communiquer de manière plus ludique et de susciter des réactions et des recommandations. Les points de vente tirent les bénéfices du toucher produit et de la présence humaine. Le site Web est une vitrine des solutions et services proposés”, énumère Daniel Breton.

In fine, le choix du ou des meilleur(s) canal(aux) dépend du secteur d’activité et de la typologie de la clientèle visée. La banque en ligne est ainsi devenue une nouvelle façon de “consommer” des produits bancaires en dehors du canal habituel représenté par le conseiller en agence. De nombreuses marques, à l’image de Sosh, l’opérateur mobile low cost d’Orange, misent aujourd’hui sur des programmes de relation client digitalisée et communautaire. Et à l’avenir, les offres proposées sur les nouveaux supports mobiles vont à leur tour s’imposer. Les exemples réussis ne manquent pas. Des méthodes plus “scientifiques” peuvent enfin être mises en œuvre afin d’identifier les canaux les plus adaptés : “Il est possible de reconstituer, à partir des données de tracking, le parcours consommateur, pour savoir quel canal a influencé son comportement en amont et sa décision d’achat en aval”, explique ainsi Irène Labus. Cette approche “customer centric” suppose de mettre en place des dispositifs de mesure adaptés, de l’exposition publicitaire à la transaction, en passant par la navigation sur le site Web.

Maîtrisée sur Internet, cette démarche tarde à s’implanter sur les nouveaux médias numériques que sont le social et le mobile. La mesure par des tiers n’y serait pas encore bienvenue. “Apple contrôle l’environnement des iPhones et iPads, Facebook interdit le tracking de ses pages fans, Microsoft régit l’Xbox”, pointe la directrice analytics d’Havas Digital. Pourtant, les médias digitaux comme Facebook, Linkedin ou Youtube font figure de terre promise pour les annonceurs. Ils constituent pour le consommateur une voie de retour vers la marque. “Ils occupent une position d’autant plus unique qu’ils sont à la fois la destination, la caisse de résonance, et l’effet multiplicateur des actions marketing”, s’enthousiasme Irène Labus, qui reconnaît cependant qu’il est “encore un peu tôt pour savoir réellement comment bien mesurer ce média, destiné à l’origine à faciliter les conversations entre amis et relations online.”

Les spécialistes dépassés

Les frontières entre les différents vecteurs tendent parfois à s’estomper, ce qui explique pourquoi les techniciens du CRM éprouvent des difficultés à s’adapter à ce nouveau paradigme. “L’e-commerce n’existe plus. Ce qui existera, c’est le commerce, le commerce tout court, sans qu’il n’y ait plus de distinction entre l’e-commerce et le commerce traditionnel”, proclamait ainsi l’année dernière John Donahoe, le provocateur président d’eBay. “Il y aura davantage de changements dans le commerce en ligne au cours des trois prochaines années qu’il n’y en a eu depuis quinze ans”, prophétisait-il.

Difficile de suivre l’entrepreneur californien : depuis 5 ans, le développement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux a été tel qu’il s’avère complexe à apprécier, même pour les spécialistes. “Les différences de génération peuvent poser un problème pour comprendre et maîtriser ces nouvelles pratiques. D’autant plus que leur mutation constante ne permet pas d’avoir de recul”, constate Christophe Benavent. Autres difficultés évoquées : faire naître au sein de l’entreprise la volonté d’entretenir des communications multicanales avec les clients, impliquer la direction ou encore partager la connaissance client à tous les niveaux de l’entreprise.

Pour rattraper le retard pris, de nouvelles méthodes font leur apparition. Le secteur a assisté ces dernières années à un foisonnement d’outils capables de mesurer, piloter, optimiser, personnaliser et automatiser les tâches marketing sur les différents canaux digitaux. Une profusion dopée par la dématérialisation de ces outils disponibles en mode SaaS (Software as a Service) et hébergés dans le cloud, et une facturation par abonnement, qui les éloignent du mode licence qui avait cours jusque-là. “Ce ne sont donc pas les outils qui manquent, et chaque direction marketing devra désormais se doter d’un portefeuille de technologies, et surtout renoncer à l’idée d’une super-solution qui pourrait tout gérer” alerte Irène Labus. L’erreur principale consiste en effet à penser que l’outil CRM va lui-même apporter une solution.

“Si le système d’information n’est pas ajusté à son propre objectif, le risque d’échec et de dépenses inutiles s’accroît”, indique Christophe Benavent. De même, la mise en place d’un système de mesure doit également répondre aux objectifs de la marque. “La fragmentation est une arme à double tranchant : le volume colossal des données produites peut aussi générer de la paralysie ou conduire les décideurs dans la mauvaise direction”, met en garde Irène Labus.

Double compétence technique-marketing

De fait, nombre de ces technologies visent à appréhender l’inflation de données, désignée sous le terme de “Big data”, qui résulte de la prolifération des points de contacts. “Ce terme recouvre les nouvelles méthodes et technologies nécessaires pour traiter un ensemble de données tellement volumineux, disparate, et produit rapidement, quasiment en temps réel, qu’il devient impossible de le gérer avec des outils classiques de gestion de base de données” précise Irène Labus. “La numérisation engendre un flot de données brutes qui sont difficilement exploitables si elles ne sont pas analysées, hiérarchisées et traitées. Les entreprises doivent se préparer à cette tendance en misant sur des solutions qui permettent de centraliser et de consolider les données de leurs clients afin de les utiliser efficacement pour améliorer la connaissance client et optimiser les campagnes marketing”, conseille Daniel Breton.

Le Big data va exiger de nouvelles expertises à la croisée du data management, de la modélisation statistique et de l’analyse business. Les équipes marketing vont ainsi devoir adapter leurs infrastructures et leur stratégie de gestion de données à ce phénomène en recourant à des data scientists. “Au vu des volumes et de la nature des données récoltées, les compétences en datamining, statistiques et modélisation seront de plus en plus demandées”, anticipe-t-elle. Au sein des entreprises, les départements marketing, CRM, médias et IT devront travailler tous ensemble autour de cette vision centrée sur le consommateur.

Les entreprises de plus petite taille, ne disposant pas de toutes les ressources nécessaires en interne, auront tout intérêt à s’appuyer sur leurs prestataires : cabinets de conseil, éditeurs de solutions, agences spécialisées en tracking ou en optimisation, “en s’assurant au préalable qu’ils disposent des compétences analytiques et statistiques requises pour traiter les volumes colossaux de données consommateurs ainsi générées, qu’ils aient une vision cross-canal de leur stratégie clients et une bonne connaissance de leurs impératifs business”, complète Irène Labus. De son côté, Christophe Benavent convient que le datamining, c’est-à-dire l’analyse et l’exploitation des informations d’une base de données marketing, constitue souvent “un goulet d’étranglement en CRM”. En revanche, il encourage plutôt les entreprises à s’affranchir de ces intermédiaires. “Il existe beaucoup de prestataires car les entreprises externalisent le plus souvent par manque de compétence en interne. Mais au contraire, ne devraient-elles pas plutôt les internaliser afin d’acquérir ce savoir-faire ?”, s’interroge-t-il.

CRM: Vers une mesure constante de la satisfaction client

La satisfaction client, permettant – au même titre que la confiance ou le taux de recommandation – de mesurer la qualité de la relation client, constitue un critère que les services marketing ont à cœur de mesurer. La norme ISO 9001 impose ainsi aux entreprises auditées de “surveiller les informations relatives à la perception du client sur le niveau de satisfaction de ses exigences”. Mais quel est le meilleur moment pour le faire ?

Pour commencer, le moment de la transaction paraît prématuré pour évaluer le contentement de l’acheteur. En effet, ce dernier doit d’abord avoir eu le temps de tester le produit ou le service acquis… mais il ne faut pas trop tarder non plus, au risque que l’expérience soit oubliée. Chez le voyagiste en ligne Booking.com, la mesure de la satisfaction intervient ainsi une semaine après le séjour. Ce délai permet, selon la marque, d’obtenir un bon taux de retour en vue d’alimenter le site. Le rôle de cette opération restant, ne l’oublions pas, d’améliorer la qualité de leurs partenaires, et donc le service pour le client. Mesurer pour mesure, sans agir en aval, s’avère en effet inutile.

L’instantanéité devenant la norme, de plus en plus d’entreprises s’orientent vers une écoute permanente de leurs clients, grâce à l’envoi de SMS ou des relances téléphoniques par serveur vocal. Une méthode qui permet de passer d’une gestion de la satisfaction client réactive, dans le cadre d’un sondage annuel ou d’une étude ponctuelle par exemple, à une gestion proactive et constante en vue de s’adapter à l’évolution des attentes et des perceptions des clients en temps réel. Ce moyen s’explique encore par le fait que 90 % des insatisfaits n’osent pas faire part de leur réclamation par crainte de confrontation directe avec l’entreprise, mais finissent tout de même par la quitter, selon une étude du cabinet d’étude marketing INIT. Les supports mobiles semblent ainsi posséder de nombreuses qualités pour devenir un outil privilégié de mesure de la satisfaction du client. Parmi ces atouts, celui de favoriser une relation “one-to-one” entre le consommateur et la marque, permettant d’obtenir des taux de retour élevé, sans pour autant augmenter les coûts pour l’entreprise.